Irving Penn

Irving Penn est l’un des grands photographes du XXe siècle, connu pour ses images saisissantes et la production de tirages de haute qualité. Bien qu’il ait été célébré comme l’un des meilleurs photographes du magazine Vogue pendant plus de soixante ans, Penn était un homme intensément privé qui a évité les feux de la rampe et a poursuivi son travail avec un dévouement constant.

À une époque où la photographie était avant tout un moyen de communication, il l’a abordé avec l’œil d’un artiste et a élargi le potentiel créatif du médium, tant avec son travail professionnel que personnel.

Bref historique

Né en 1917 à Plainfield, New Jersey, de parents immigrés, Penn a fréquenté la Philadelphia Museum School of Industrial Arts de 1934 à 1938, ou il a étudié avec Alexey Brodovitch.  Un émigré russe qui a travaillé à Paris dans les années 1920, Brodovitch a enseigné l’application des principes de l’art moderne et du design aux besoins des magazines, des expositions, de l’architecture et de la photographie.

La photographie de mode avant Penn

Avant l’apparition de la photographie, l’illustration était la seule méthode pour publier les images de mode. D’abord uniquement en noir et blanc pour fin de reproduction dans les journaux à grand tirage, les illustrations colorées à la main sont apparues, en lien avec l’évolution des presses et des magazines de mode.

Au début du XXème siècle, on commence à utiliser la photographie.

Fortement influencés par l’approche pictorialisme, la première génération de photographes dominants dans l’industrie de la mode sont :

Les premières photographies de mode utilisent des arrière-plans élaborés, peints, avec perspective, profondeur et beaucoup de détails. De plus, on utilise une large panoplie d’accessoires, de miroirs, des ombres dramatiques inspirées des techniques d’éclairage des films. Par exemple, Beaton projette des ombres sur ses fonds clairs.

L’utilisation d’accessoires élaborés passe du sublime au ridicule, comme par exemple le bracelet de Beaton

On passe plus tard aux fantaisies des surréalistes, animés et inspirés par le mouvement Avant-garde, qui utilisent des artifax nombreux comme des masques, plaçant le modèle par exemple devant des œuvres d’art de Picasso :

Début de carrière chez Vogue

Après un certain temps à New York en tant qu’assistant de Brodovitch au Harper’s Bazaar et divers emplois de directeur artistique, Penn part au Mexique pour peindre en 1941. Il fut déçu par ses peintures et les détruisit avant de retourner à New York à la fin de l’année suivante.

En 1943, le nouveau directeur artistique de Vogue (1942 – 1994), Alexander Liberman (1912 – 1999), engage Penn comme associé pour préparer des mises en page et suggérer des idées de couvertures aux photographes du magazine. Liberman, un autre émigré russe qui avait travaillé à Paris, regarda les planches contact de Penn de ses récents voyages et reconnut « un esprit et un œil qui savaient ce qu’il voulait voir ».

Extreme Beauty

Qu’est-ce qui définit exactement la beauté? Est-ce que la réponse, comme certains l’ont suggéré, est la parfaite symétrie? Ou peut-être des expressions et des traits exotiques? La perception actuelle de la beauté est-elle quelque chose de tout à fait naturel ou fabriqué de toute pièce à la recherche d’un effet spectaculaire? Et est-ce vraiment dans l’oeil du spectateur? Tirées des archives de Vogues, voici quelques photos d’Irving Penn qui ont repoussé les limites, ignoré les règles. Penn a su prendre des risques. Le résultat est une collection de photos saisissantes qui dérangent à la fois, avec des images qui sont toujours des exemples beauté, avec une composition inattendue et déroutante.

Les couvertures de Penn

Sous l’influence de Liberman, Penn a bénéficier d’une grande liberté éditoriale, ce qui lui a permis de créer du matériel novateur chez Vogue.

Pour un parution de Vogue, Penn, qui se rendait rarement sur place, était à Lima. Il est revenu avec une photo où le mannequin avait mal aux pieds; il lui a enlevé ses chaussures: Liberman a appelé cette photo «l’imperfection de la vie réelle”

Liberman a eu une relation longue et durable avec Irving Penn. Le photographe perfectionniste menaçait souvent de ne plus jamais travailler pour Vogue si Liberman publiait une photo qu’il n’avait pas choisi lui-même, ce qui n’empêchait pas Liberman d’aller de l’avant et les publier quand même. Liberman a même utilisé une image de Penn qui était floue et l’a fait agrandir pour occuper une double page.

Après la Seconde Guerre mondiale, comme Penn a rapidement développé une réputation pour son style percutant pour les natures mortes et le portrait, Liberman l’a envoyé à travers le monde sur des affectations de portrait et de mode. Ce sont des expériences formatrices, qui confirment la préférence de Penn pour la photographie dans l’environnement contrôlé d’un studio, où il pouvait enlever tout ce qui n’était pas essentiel à ses compositions et se concentrer sur ses sujets.

Portrait de Picasso

Le portrait de PIcasso le plus percutant, capté par Irving Penn en 1957

Voici une collection de portraits de Picasso produite par des grands noms. Picasso aimait la caméra et n’hésitait jamais pour se faire photographier. A mon opinion, le portrait de Penn est le plus percutant de tous.

Projet personnel : Earthly Bodies, 1940 -50

En plus de ses contrats commerciaux, Penn entreprit un grand projet personnel, photographiant des nus en studio et expérimentant comment produire des tirages pour faire ressortir la finesse de l’image. Il s’agissait pour Penn d’une nouvelle approche photographique, mais les images ont été jugées trop provocantes et n’ont pas été montrées pendant des décennies.

Earthly Bodies, 1940 – 1950

Période parisienne

En 1950, Penn est envoyé à Paris pour photographier les collections de haute couture de Vogue. Il travaille dans un studio éclairée à la lumière du jour avec un vieux rideau de théâtre comme toile de fond. C’est alors qu’il rencontre pour la première fois la modèle extraordinaire Lisa Fonssagrives, en 1947. Née en Suède et formée comme danseuse, elle était l’un des mannequins les plus recherchées de l’époque, avec une expression sophistiquée de la forme et de la posture. Ils se sont mariés à Londres en septembre 1950.

Petits métiers

Pendant cette période, Penn a également travaillé sur un projet inspiré par une tradition d’estampes anciennes, photographiant les « Petits Métiers » — bouchers, boulangers, ouvriers et excentriques qui appartenaient à un monde en voie de disparition. De cette vaste collection, Penn a publié un livre intitulé “Small Trades”, avec quelques centaines de photos noir et blanc de travailleurs représentés avec leur uniformes et outils de travail, tous devant un font peint. Les modèles sont présentés pleine grandeur.

Studio de Penn à Paris

Période internationale

Les voyage de Penn pour Vogue sont devenus plus fréquents entre 1964 et 1971, l’emmenant au Japon, en Crète, en Espagne, à Dahomey (aujourd’hui intégré au Bénin), au Népal, au Cameroun, en Nouvelle-Guinée et au Maroc. Lors de ces voyages, Penn était de plus en plus libre de se concentrer sur ce qui l’intéressait vraiment : faire des portraits de personnes en lumière naturelle.

Lors des premiers voyages, il adapte les espaces existants comme un garage ou une grange à ses besoins, et privilégie le rôle crucial d’un environnement neutre pour encourager l’échange respectueux qu’il recherche. Finalement, cela l’a amené à construire une tente studio qui pourrait être démontée facilement et transportés d’un endroit à l’autre.

Penn cherche à établir une relation de confiance avec ses sujets : cette expérience est une révélation pour lui et une rencontre émouvante pour les sujets eux-mêmes, qui sans paroles, seulement par leur position, leur expression et leur concentration, étaient capables de dire beaucoup, pour combler le fossé entre les différents culturelles.

Le travail de Penn a bénéficié d’un exutoire idéal sur les pages de Vogue, ce qui lui a permis d’être largement diffusé. Cependant, au début des années 1950, les éditeurs ont commencé à croire que les photographies de Penn étaient trop sévères pour le magazine, qu’elles étaient trop intenses.

En conséquence, ses affectations ont été réduites et il s’est tourné vers la publicité. Penn s’est félicité des défis que ce nouveau domaine offrait, en particulier dans les domaines de la photographie de nature morte, et a expérimenté avec des lumières stroboscopiques pour produire des images dynamiques qui ont révolutionné l’utilisation de la photographie dans la publicité.

La philosophie de création de Penn

L’approche de Penn est différente : « s’il n’y avait pas de raison qu’un objet se retrouve dans l’image, il n’était pas là ». Il a dépouillé l’image et a ainsi révolutionné l’image de la mode.

Voici les composants de création privilégier de Penn : Clarté, arrière-plan neutre, espace, lumière, détail, ligne et pose, le tout pour créer un nouveau langage.

Clarté : « le processus photographique passe avant tout par la simplification et l’élimination »

Contexte : Penn résiste aux commentaires négatifs des critiques de magazines et persiste dans l’utilisation de ses fonds blancs

Espace: Penn créée son propre espace. Par exemple, il a créé son espace à angle: « une niche pour enfermer les gens ». Certaines personnes se sentaient en sécurité dans l’endroit étroit, d’autres se sentaient piégés. C’était une sorte de « sérum de vérité ».  La réaction spontanée du sujet détermine pour Penn l’expression captée à la caméra.

Voir sélection de portraits dans un coin

Lumière : La lumière de Penn était très différente de l’éclairage dramatique, à contraste élevé de son époque.  « La lumière du jour est la plus délicieuse des différents types d’éclairage disponible à un photographe ». Il a fait référence à la douce lumière du nord entrant dans un studio. Il utilisait également l’éclairage stroboscopique : l’équilibre des couleurs est prévisible et reproductible, les modèles ne sont pas exposés à la chaleur

Utilisation des détails: la série de Pfaff, 1950, le gant de Kerchief de Dior, 1950: l’importance de montrer la mode. Penn choisi de présenter les détails des vêtements.

Ligne: ligne de corps, correspond à la forme d’une fleur, inspiré par les contours.

In this photo provided by Christies auction house, shown is the “Woman with Roses on Her Arm (Lisa Fonssagrives-Penn,) 1950,” by Irving Penn.

Pose : contrairement aux « poses dramatiques » utilisés précédemment, il préfère des poses simplifiées, naturelles.

La mode a également été influencée par Avadon et Ritts au cours de la même période, incluant le mouvement et la vitalité des modèles, l’utilisation de l’éclairage extérieur et des grands espaces.

La valeur d’une photo

Jeune photographe en 1950, Penn mentionnait : « pour le photographe moderne, le produit final est la page imprimée, pas le tirage photographique »

Quatorze années plus tard, il a changé d’opinion : « Un beau tirage est l’objet en soi, pas seulement un processus de transition en route vers la page d’un magazine. »

Qu’est-ce qui a provoqué ce changement radical de mentalité ?

Il peut s’expliqué par le fait que Penn, au début de sa carrière recherche le respect pour son travail de mode. Avec les années, Penn est venu à l’idée qu’il ne voulait pas une représentation éphémère de son travail. Il a un jour mentionné au photographe de studio Vin Greco (célèbre photographe de studio): « La photo d’aujourd’hui enveloppera le poisson de demain »

Production de tirages argentiques

Au début des années 1960, les budgets des magazines se sont trouvés réduits, ce qui entraine une réduction de la qualité des impressions. Bien que Penn continuait de photographier pour le magazine, il est devenu de plus en plus déçu par la façon dont ses photographies apparaissent sur les pages, commentant qu’il évitait de les regarder parce qu’« elles font trop mal ».

Sa solution à cette situation fut de relancer discrètement ses pratiques de tirages en chambre noire, une approche révolutionnaire à une époque où les tirages photographiques n’étaient pas considérés comme des objets artistiques.

Commençant par des recherches et des expérimentations approfondies, il a étudié les méthodes du XIXe siècle qui pourraient offrir un plus grand contrôle sur les variations subtiles et les tonalités qu’il cherchait dans un tirage. Il a poursuivi ses recherches jusqu’à ce qu’il perfectionne un processus complexe d’impression avec platine et palladium, projetant les négatifs pour imprimer sur du papier sensibilisé, sur une feuille d’aluminium afin qu’elle résiste aux enduits et impressions multiples.

Retrait des activités commerciales

Au début des années 1970, Penn ferme son studio de Manhattan et s’immerge dans l’impression de tirage platine et palladium dans le laboratoire qu’il construit sur la ferme familiale de Long Island, NY.

La chambre noir d’Irving Penn à Long Island

Cela l’a aminé à produire trois grandes séries photographiques conçues pour les tirages platine et palladium: Cigarettes (1972, présenté au Musée d’Art Moderne en 1975), Street Material (1975-1976, présenté au Metropolitan Museum of Art en 1977), et Archéologie (1979-1980, exposé à la Marlborough Gallery en 1982).

Comme sa série de nues précédente, ces œuvres s’écartent radicalement des usages dominants de la photographie. Bien que beaucoup trouvaient ces sujets répugnants, Penn voyait « un trésor dans les déchets de la ville, des formes intrigantes, déformées, avec couleurs et des tache variables ».

En 1983, Penn retourne à ses activités commerciales et ouvre un studio à New York afin reprend ses travaux publicitaires et pour les magazines.

Fin de carrière

La créativité de Penn s’épanouie au cours des dernières décennies de sa vie. Ses portraits innovants, ses natures mortes, ses photos de mode et de beauté continuent d’apparaître régulièrement dans Vogue.

Penn adopte de nouvelles idées, construisant des caméras pour photographier les débris sur le trottoir, expérimentant avec une bande de lumière mobile pendant de longues expositions, ou avec l’impression numérique en couleur. Les projets de livres sont également devenus une priorité, et Penn a pris beaucoup de soin pour assurer la qualité de la conception et la qualité de l’impression.

Développer ses archives

De sa carrière prolifique, il a voulu laisser une oeuvre soigneusement structurée. Particulièrement après la mort de Lisa en 1992, il a cherché du réconfort dans son travail et dans la structure de son horaire de studio. Il peignait la plupart des nuits après le travail et le week-end. En 2009, Penn meurt à New York, à l’âge de 92 ans.

Il a créé la Fondation Irving Penn, dédiée à gérer l’héritage de Penn et de préserver l’inspiration de son esprit remarquable.

Références

La Fondation Irving Penn, Présentation des portfolio

https://irvingpenn.org/biography

Par Nancy Hall-Duncan, Une nouvelle langue pour la photographie de mode

Conservateur, Smitthsonian American Art Museum

https://www.bjp-online.com/2018/09/cecil-beaton-and-more-star-at-the-fashion-and-textile-museum/

Cecil Beaton: Icons of the 20th century – in pictures

Jewelry History Owes A Lot to Cecil Beaton

Le modernisme: Alexander Liberman

Martin Munkacsi, Pére de la photographie de mode moderne

https://www.artsy.net/article/artsy-editorial-8-surrealist-photographers-dora-maar-man-ray

https://www.vogue.com/article/from-the-archives-extreme-beauty-in-vogue

Les petits métiers vus par Irving Penn : une approche intime du monde, 2010, Journal Le Monde

Martin Munkácsi, le père de la photographie de mode moderne

No Comments

Post a Comment