William Eugene Smith et ses essais photographiques éditoriaux
Le photojournaliste W. Eugene Smith (1918 — 1978 ) a produit des essais qui sont à ce jour considérés comme la référence en terme d’essais photographiques éditoriaux. Parmi les plus percutants, on note celui produit en 1975 qui a documenté l’impact de la pollution sur la santé des habitants de la préfecture de Minamata au Japon. C’est à titre de correspondant de guerre que Smith a débuté sa carrière, mais on le connait surtout pour la force de son engagement social et sa volonté de communiquer les injustices, au péril de sa vie. Il a lui-même décrit son inspiration comme étant « d’enregistrer en paroles et en photographies la condition humaine ». Il a vécu à la hauteur de ce grand défi et son importance à titre de photographe documentant la société est inégalée. Eugene Smith a réussi à changer notre perception du monde.
Recherche et présentation: François Spénard
Ses premières années
Eugene Smith, (William Eugene Smith), nommé Gene Smith (né le 20 décembre 1918 à Wichita, Kansas, États-Unis – décédé le 15 octobre 1978 à Tucson, en Arizona), photojournaliste américain connu pour ses essais photographiques fascinants et gigantesque, qui se caractérisaient par un fort sentiment d’empathie et de conscience sociale.
À l’âge de 14 ans, Smith commence à utiliser la photographie pour faciliter ses études aéronautiques. En un an, il devient photographe pour deux journaux locaux. Il a quitté l’université après un an pour aller à New York. En 1942, Smith devint correspondant de guerre pour le magazine Life et couvrit plusieurs des plus importantes batailles du Pacifique, notamment Tarawa, Saipan, Guam et Iwo Jima.
Eugene Smith: ”Je n’ai jamais fait de photo, bonne ou mauvaise, sans l’avoir payée dans une tourmente émotionnelle. »
Un bourreau de travail… il a laissé derrière lui:
- 3,000 tirages originaux
- Des centaines de milliers d’épreuves de travail en 13 x 18
- 1,600 enregistrements sur bande magnétique
- 2,5000 disques en vinyle
- 8,000 livres
- Des lettres, des projets complet par dossiers, des fiches par milliers
Et 18 dollars en poche…
Aucun musée ou gallérie, n’a réussi à date à monter une rétrospective complète, dû au fait d’un volume faramineux de travaux qu’Eugene Smith a produit tout au long de sa carrière.
Eugene Smith: « Je n’ai pas écrit les règles, pourquoi devrais-je les suivre? »
Appareils photo
Il n’a jamais eu d’attache à un type ou une marque particulière d’appareils photographique, quoiqu’il favorise le format 35mm pour sa maniabilité.
Photos WWII
Il a dit un jour qu’il considérait ses photographies de la Seconde Guerre mondiale non pas comme un moyen de communiquer des événements d’actualité, mais aussi comme «un puissant catalyseur émotionnel». Cette approche l’aidait à exposer les tragédies de la guerre et à les empêcher de se reproduire. Il avait été grièvement blessé alors qu’il couvrait l’invasion d’Okinawa en 1945. Au cours des deux années suivantes, il subit 32 opérations. En 1947, vers la fin de sa convalescence douloureuse, il prit sa première photo depuis sa blessure.
Photo de deux enfants
Intitulée The Walk To Paradise Garden, cette vue de ses propres enfants entrant dans une clairière est devenue l’une de ses photographies les plus célèbres. Elle concluait l’exposition photographique historique «The Family of Man» organisée par Edward Steichen pour le Museum of Modern Art de New York en 1955.
Smith est retourné travailler pour Life en 1947 et est devenu président de la Photo League en 1949.
Photo League
Un club photo pour l’élite des photographes.
La Photo League était une coopérative de photographes basée à New York qui s’est regroupée autour d’une série de causes sociales et créatives communes. La Ligue a été active de 1936 à 1951 et comptait parmi ses membres certains des photographes américains les plus en vue du milieu du XXe siècle.
Au début des années 1940, Margaret Bourke-White, W. Eugène Smith, Helen Levitt, Arthur FSF, Arthur Rothstein, Beaumont Newhall, Nancy Avallon, Richard Avedon, Weegee, Robert Frank, Harold Feinstein, Ansel Adams, Edward Weston et Minor White. La Ligue était la gardienne de la collection commémorative Lewis Hine, que le fils de Hine avait donnée à la Ligue en reconnaissance de son rôle dans la promotion de l’activisme social par la photographie, comme l’avait fait son père.
Durant cette période, il a entamé une série d’essais photographiques remarquables, notamment le Country Doctor psychologiquement pénétrant (1948). Une autre série, Spanish Village (1951), contient plusieurs de ses impressions les plus mémorables. Smith a vécu dans le village pendant plusieurs mois, et la compréhension et l’empathie qu’il a acquises sont évidentes dans ses photographies du combat quotidien des villageois pour tirer leur vie de la terre épuisée.
Country Doctor et Spanish Village
Parmi les autres essais photographiques importants, citons Nurse Midwife (1951) et Man of Mercy (1954), qui représentent deux groupes important en santé, les sage-femmes noires et le docteur Albert Schweitzer, les deux voués à atténuer les souffrances des autres.
Nurse Midwife et Albert Schweitzer
Le sens aigu de la raison morale et artistique de Smith commença à être incompatible avec les exigences d’un grand magazine populaire. Il quitta donc Life en 1955* pour se lancer à son compte. En 1956, il entreprit un ambitieux reportage photo sur la ville de Pittsburgh. Presque simultanément, il commença une série de photographies de scènes de rue new-yorkaises prises depuis la fenêtre de son loft sur la Sixth Avenue. Une partie de la série a été publiée dans Life en 1958 sous le titre «Un drame sous une fenêtre de ville».
*Eugene Smith avait beaucoup de difficulté à travailler dans des cadres précis et surtout avec les budgets restreints d’agences et de magazines; un peu comme “Annie Leibovitz” de nos jours, connue pour ses dépassements de budget; Eugene Smith était reconnu pour crever tous les budgets et les temps de travail qui dépassaient toujours en heures, en jours ou en mois alloués à un projet. Infatigable et surtout perfectionniste dans l’approche des sujets imposée par LIFE ou autres magazines, il lui était donc impossible de terminer un «assignment» (affectation) dans des limites précises ou de rencontrer des “dead-line”; la résultante était des reportages plus que complets dans tous les moindres détails. Des éditeurs appréciaient qu’il respecte les dead-lines, mais pas nécessairement des départements de comptabilité qui devaient gérer ses dépenses faramineuses !
Pittsburgh, la ville de l’acier
Un exemple de dépassement imposé pour le projet Pittsburgh: on lui avait demandé de terminer le projet en 3 semaines, il a remis ses photos 3 mois plus tard !
ANECDOTE: pendant son séjour à Pittsburgh, des malfaiteurs ont ouvert sa voiture de force et lui ont volé 5 appareils photo, dont plusieurs Leica; par chance il en a retrouvé 2 dans un “Pawnshop” qu’il a racheté pour 40$ chacune. Une des caméras avait encore un film, les malfaiteurs l’avaient utilisée sans le faire développer. Gene lui a développé le film pour y découvrir le visage des voleurs; il a tout remis à la police, cette preuve a permis de retrouver les voleurs.
Dans un paragraphe le résumé de qui était vraiment Eugene Smith au moment de son entreprise du projet Pittsburgh.
Maintenant il était à la dérive. Endetté, buvant sans arrêt, malmené par un régime de benzédrine et d’amphétamines, Smith frappa Pittsburgh dans l’espoir de sauver ce qui resterait de sa carrière. Son épouse, Carmen, était de retour chez elle à Croton-on-Hudson, dans l’État de New York, s’occupant de leurs quatre enfants. Pendant ce temps, à Philadelphie, la maîtresse de Smith, Margery Lewis, avait récemment donné naissance malencontreusement et illégalement au fils du couple. C’était la sombre période obscurcie rendue plus sombre par la mort de la mère de Smith, Nettie, en février. Un tourbillon de chagrin, de vengeance, de désespoir et une sorte d’idéalisme dévastateur l’ont conduit dans la Cité d’acier.
The Jazz Loft
Entre 1957 et 1965, à New York, des dizaines de musiciens de jazz s’entraînent nuit après nuit dans un loft délabré de la Sixth Avenue, ne réalisant pas que ce qu’ils jouent et se disent est capturé sur une cassette audio et des images fixes par un génie instable, l’ancien photographe du magazine LIFE, W. Eugene Smith, qui habite dans le loft voisin.
Le photographe W. Eugene Smith a enregistré 4 000 heures de cassettes audio et pris 40 000 photos* au Jazz Loft entre 1957 et 1965.
Minamata, l’histoire d’une catastrophe écologique
Le dernier grand essai photographique de Smith, Minamata (1975), traite des habitants d’un village de pêcheurs japonais qui ont été intoxiqués et gravement défigurés par les déchets de mercure d’une entreprise chimique située à proximité. En photographiant ce projet, il a été sévèrement battu par plusieurs ouvriers de l’usine locale qui étaient opposés aux révélations exposées par sa caméra.
Une vaste collection de ses travaux a été acquise par le Center for Creative Photography de l’Université de l’Arizona en 1976.
Le Japon et Minamata
Smith et son épouse d’origine japonaise, Aileen M. Smith, vivaient à Minamata, à la fois un village de pêcheurs et une ville industrielle d’une entreprise dans la préfecture de Kumamoto, au Japon, de 1971 à 1973. Ils y créèrent un essai photographique à long terme sur la maladie de Minamata, effets d’une intoxication au mercure par une usine de Chisso rejetant des métaux lourds dans des sources d’eau autour de Minamata.
En janvier 1972, Smith fut agressé par des employés de la société Chisso près de Tokyo dans le but de l’empêcher de faire connaître davantage les effets de la maladie de Minamata dans le monde. Smith a survécu à l’attaque, mais avec une vision limitée d’un œil. Pendant que Smith n’était pas en mesure de travailler en raison de ses blessures, Aileen a poursuivi ses travaux.
L’essai a été publié en 1975 sous le titre «Minamata», «Words and Photographs» de W.E. Smith et A.M. Smith.
La photo de «Tomoko Uemura in Her Bath», prise en décembre 1971 et publiée quelques mois après l’attaque de 1972, a attiré l’attention du monde entier sur les effets de la maladie de Minamata.
La photographie représente une mère tenant sa fille nue gravement déformée dans une chambre de bain japonaise traditionnelle; elle a été retiré de la circulation conformément aux souhaits des parents. La photographie était la pièce maîtresse d’une exposition sur la maladie de Minamata organisée à Tokyo en 1974.
Retour aux USA après Minamata
Smith revint de son séjour à Minamata (Japon) en novembre 1974 et, après avoir terminé le livre de Minamata, il s’installa dans un studio à New York avec un nouveau partenaire, Sherry Suris. Les amis de Smith s’alarmèrent de la détérioration de son état de santé et lui demandèrent de rejoindre le corps enseignant du département d’art et du département de journalisme de l’université de l’Arizona. Smith et Suris s’installèrent à Tucson (Arizona) en novembre 1977. Le 23 décembre 1977, Smith subit un grave accident vasculaire cérébral, mais se rétablit partiellement et continua d’enseigner et d’organiser ses archives. Smith a subi un deuxième accident vasculaire cérébral et est décédé le 15 octobre 1978. Il a été incinéré et ses cendres inhumées au cimetière rural de Crum Elbow, Hyde Park, à New York.
NOTE : Selon le Centre international de la photographie, Smith est crédité pour le développement de l’essai photographique jusqu’à sa forme ultime. Il était un imprimeur exigeant et la combinaison de l’innovation, de l’intégrité et de la maîtrise technique de ses photographies faisait de son travail la référence au photojournalisme mesuré ainsi pendant de nombreuses années.
Héritage
…ne rien faire de moins que d’enregistrer, en paroles et en photographies, la condition humaine. Personne ne pourrait vraiment réussir à un tel travail: pourtant Smith faillit y arriver. Au cours de sa vie relativement brève et souvent douloureuse, il a créé au moins cinquante images si puissantes qu’elles ont changé la perception de notre histoire.
– Ben Maddow, scénariste et documentariste prolifique des années 1930 aux années 1970
NOTE : sur le Photojournalisme: La distinction entre le photojournalisme et les autres formes de photographie tient en une image. Le photographe qui prend les photos d’un mariage à un but : plaire à son client. Le photojournaliste à un mandat publique : Il fournit des informations précises, honnêtes, c’est-à-dire situées dans leur contexte, en image.
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