L’oeuvre du photographe Alexander Henderson
Mise en contexte
Durant l’été 1940, Thomas Greenshields Henderson s’était enfin décidé à faire le nettoyage du sous-sol de sa grande maison de Westmount. Fini la procrastination, s’était-il sans doute dit. Il engagea 2 hommes de main qui travaillèrent d’arrache-pied une journée entière pour sortir aux vidanges une quantité innombrable de boîtes lourdes et encombrantes. C’est ainsi que sa maison se trouva enfin libérée de vieilleries inutiles.
Thomas était le petit-fils d’Alexander Henderson, photographe célèbre du XIXe siècle. Il venait ainsi de détruire un patrimoine photographique d’une valeur inestimable de plus de 140,000 négatifs grand formats sur plaques de verre. Il ne reste de l’œuvre d’Henderson que des tirages qui ont été rassemblés auprès des collectionneurs par le curateur du musée McCord, Stanley Triggs durant les années 1965 et 1998. En 2012, le musée ainsi pu présenter une magnifique exposition extérieure intitulée « Paysages habités » sur la rue McGill College des photos grand format d’Henderson.
Alexander Henderson (1831 — 1913) est un photographe bien connu du XIXe siècle dont les scènes de paysages canadiens, de la ville et des activités de plein air ont suscité les éloges les plus enthousiastes chez nous et à l’étranger. Les Canadiens et les visiteurs les recherchaient pour obtenir des informations sur les lieux visités ou les activités quotidiennes, ou tout simplement pour le talent artistique des images elles-mêmes. Au moins un collectionner sérieux de Montréal les a amassées avidement pour leur valeur historique. Pourtant pour près de soixante-dix ans après le départ à la retraite de Henderson à la fin des années 1890, cet ensemble varié d’images jadis si populaires fut presque oublié et sa vaste collection de négatifs abandonnée dans le sous-sol d’une maison montréalaise.
Toutes les informations disponibles sur internet en relation avec Alexander Henderson tirent leur source de la recherche du curateur du musée McCord, Stanley Triggs à partir des années 1965 et publiée dans Archivaria, Volume numéro 5, 1977-78
Durant ses jeunes années, Alexander Henderson travaille comme marchand de semences avec succès. Il est né en Écosse en 1831 d’une famille prospère. Il épousa à Édimbourg Agnes Elder Robertson, et ils eurent neuf enfants.
En 1849, il entreprend un apprentissage de trois ans pour devenir comptable. Bien qu’il n’ait jamais aimé la perspective d’une carrière dans les affaires, il s’y engagea pour faire plaisir à sa famille. Avec son épouse, Henderson immigre au Bas-Canada en octobre 1855. Ils s’installent à Montréal où, de 1859 à 1863, Henderson travaille à titre d’un marchand à commission.
Le passage à la photographie
Henderson a accumulé ses connaissance de la photographie à Montréal vers 1857 et s’est vite concentré à la production d’images en tant qu’amateur sérieux. Ses progrès artistiques et la maîtrise des techniques ont été rapides et, en 1865, il publie sa première grande collection de photographies de paysages. De diffusion limitée (seulement sept exemplaires ont été identifiés), la publication s’intitule « Vues canadiennes et études réalisées par un amateur » en couverture et « Vues photographiques et études de paysages canadiens » en page de titre.
Ce premier document était une publication avec un tirage limité, réalisé individuellement pour chaque acheteur, ce qui expliquerait les variations entre les cinq exemplaires restants. Cette publication est importante car il s’agit du premier ensemble de photographies à partir duquel nous pouvons évaluer le travail de Henderson. La qualité de son travail n’est pas celle d’un débutant sans expérience, mais plutôt un amateur talentueux et sérieux. Chaque tirage révèle une habileté technique et artistique exceptionnelle. Cette publication est une étape personnelle importante qui l’a peut-être motivé à consacrer sa vie à l’art photographique sur une base professionnelle.
D’amateur à professionnel
En 1866, peut-être encouragé par la réception de son livre, il abandonne ses activités commerciales de comptable pour ouvrir un studio de photographie localisé au 10 Phillip Square et se présente comme photographe portraitiste et paysagiste. À partir de 1870 environ, il abandonna graduellement le portrait pour se spécialiser en photographie de paysage. Ses nombreuses photographies de la vie citadine captées dans le contexte de scènes de rue, de bâtiments et de marchés animées par des activités humaines.
Le portrait devient une partie mineure de son activité professionnelle, puisque très peu de portraits figurent dans ses collections. Il a sans aucun doute employé du personnel pour alimenter les activités de son studio et éventuellement engagé un assistant pour son travail sur le terrain. Néanmoins, à en juger par la cohérence du style dans les photographies qui lui sont attribuées durant cette époque, il semble probable qu’il a pris toutes les photos lui-même.
En 1874, il s’installe au 237, rue St. James est, se qualifiant cette fois de photographe paysagiste. Deux ans plus tard, il déménage à son adresse définitive, au 387 Notre Dame ouest.
Bien que son sujet de prédilection était le paysage, il compose souvent ses scènes autour d’activités humaines. Il existait un marché suffisant pour ces types de scènes telles l’illustration de la culture du sol, le maniement d’un canot de rivière, de la coupe de bois ou de la glace, l’usage des les bateaux à vapeur, les chemins de fer et les chutes d’eau pour permettre à un photographe expérimenté et compétent de gagner sa vie.
Ses meilleures années
Vers la fin des années 1860, il n’existait guère de photographes compétents à cause des coûts et de la lourdeur du matériel ainsi que les techniques de production fastidieuses. Par conséquent, le souvenir photographique d’un voyage, l’enregistrement d’une scène appréciée ou une image comme cadeau étaient fréquemment achetés auprès d’un photographe professionnel. Henderson exposait des photographies de référence pour le montage, l’encadrement ou l’inclusion dans un album. Il a publié également deux petits livres de scènes montréalaises, l’un montrant la ville en été, l’autre en hiver.
En 1869, les nièces de John Molson, un homme d’affaires montréalais renommé, chargèrent Henderson de préparer un album élaboré, contenant plusieurs centaines de tirages pour l’anniversaire de leur oncle. C’est ainsi qu’il publie en 1870 un album d’image stéréographiques intitulé “Photographs of Montreal“. C’était un format simple, contenant une page titre et une table des matières, suivi de vingt photographies, une photo par page. Le seul exemplaire connu est conservé aux Archives publiques du Canada. La page de titre réfère à “un livre similaire de scènes d’hiver également publié”, dont aucun exemplaire n’a encore été retrouvé.
Henderson a beaucoup voyagé à travers le Québec et l’Ontario, documentant les principales villes et zones de villégiature des deux provinces et de plusieurs villages du Québec. Il aimait particulièrement les étendues sauvages et faisait de nombreux voyages en canoë d’écorce de bouleau vers les rivières Blanche, Rouge, du Lièvre et d’autres rivières de l’est de la région. Il s’est rendu à plusieurs reprises dans les Maritimes. En 1872, il a navigué sur la côte nord du fleuve Saint-Laurent avec John Thomas Molson et sa famille sur le yacht de Molson, le Nooya. La même année, alors qu’il se trouvait dans la région du bas Saint-Laurent, il prit des photographies de la construction du chemin de fer Intercolonial.
Stylistiquement, le travail de Henderson était conforme à la tradition documentaire prédominante au XIXe siècle. La photographie était encore un art nouveau. La capacité remarquable de la caméra à présenter des détails minutieux correspondait à la demande de l’époque où le réalisme était la tendance dominante à la fois en photographie de paysage et en portrait. Néanmoins, dans le cadre de cette approche réaliste, Henderson utilise une lumière, une texture et une composition méticuleuse qui le caractérisent, allant bien au-delà de la moyenne des photographes de paysage contemporains.
Son attention pour les personnes engagées dans diverses activités rend ses photographies inestimables pour l’historien social, et l’interprétations de l’architecture. Ses images ne sont pas seulement utilement sur une base factuelle ; elles ressemblent davantage à des portraits, donnant ainsi une vie aux briques et aux pierres.
À la fin des années 1870 et au début des années 1880, certains de ses travaux reflètent un style plus personnel. Ce qui était auparavant une tendance envers le romantisme devint parfois un abandon complet de la représentation réaliste pour une réaction émotionnelle directe face à la scène à laquelle il était confronté. Pour les archivistes et les historiens sociaux, ces images ne sont pas toujours importantes en tant que documents historiques, mais ce sont certainement des scènes significatives, reflétant son intérêt pour l’inspiration artistique.
Ses années avec les compagnies de chemins de fer
L’intérêt qu’il porta aux infrastructures des chemins de fer lors des ses voyages personnels lui a permis d’obtenir en 1875 un contrat de la Compagnie de chemins de fer CP. L’objectif était de documenter les principales structures le long de la ligne presque achevée reliant Montréal à Halifax.
Quelques années plus tard, William Notman a établi en 1884, un partenariat d’une durée de près de 25 ans, avec le directeur général du Canadien Pacifique, William Van Horne; le Canadien Pacifique accommoderait Notman en le faisant voyager gratuitement à bord du train, afin qu’il puisse photographier tout le long du parcours ferroviaire, en échange de quoi, la compagnie aurait accès aux photographies de Notman pour ses campagnes promotionnelles.
Les deux photographes avaient un lien d’amitié et il semble qu’ils ont travaillé en partenariat dans la réalisation des projets du CP.
Pour Henderson, d’autres contrats pour d’autres compagnies de chemins de fer ont suivi. En 1876, il photographie des ponts sur les chemins de fer Québec, Montréal, Ottawa et pour l’Occidental Railway entre Montréal et Ottawa.
De 1882 à 1884, il photographie des ponts construits par la Dominion Bridge Company Limited pour le chemin de fer du Canadien Pacifique. En 1885, il se dirige vers l’ouest avec le Compagnie CP jusqu’à Rogers Pass, en Colombie-Britannique, où il décrit le paysage de montagne et les progrès de la construction de la nouvelle ligne de chemin de fer dans les Rocheuses.
En 1892, Henderson accepte un poste à plein temps au CP en tant que directeur du département de photographie, qu’il a crée et qu’il administre. Ses responsabilités incluaient également de passer quatre mois sur le terrain chaque année. L’été de sa première année, il effectua son deuxième voyage dans l’ouest, photographiant le long de la voie ferrée jusqu’à Victoria. Il a occupé ce poste jusqu’en 1897, date à laquelle il s’est complètement retiré de la photographie.
Un ami de William Notman
Henderson était un ami personnel et un collègue de William Notman. Leurs enfants avaient à peu près le même âge et jouaient ensemble, puisque Henderson en a photographié certains en train de glisser à l’extérieur, près de son studio. Au cours de ses années d’amateur, il achetait souvent ses fournitures photographiques chez Notman. Les deux hommes firent une excursion photographique à Niagara Falls en 1860 et collaborèrent à des expériences sur l’utilisation de torches de magnésium comme source de lumière artificielle en 1865.
Ils appartenaient aux mêmes sociétés et figuraient parmi les membres fondateurs de l’Art Association of Montreal. La première réunion eut lieu dans l’atelier de Notman le 11 janvier 1860, sous la présidence de Henderson. Plus tard, ils se sont tous deux joints à la Young Men’s Christian Association et ont participé au Club photographique amateur de Montréal.
En dépit de leur amitié, leurs styles de paysages et leurs points de vue étaient très différents. Bien que les scènes produites par Notman sont connues pour leur réalisme audacieux, tendant souvent vers l’abstrait, Henderson produisit pendant ses vingt premières années des images pastorales romantiques, illustrant la forte influence de la tradition du paysage britannique.
Henderson expose fréquemment ses photographies à Montréal et à l’étranger, à Londres, Edimbourg, Dublin, Paris, New York et Philadelphie; il a souvent reçu des mentions spéciales.
Choix photographiques
Pour ses travaux extérieurs, Henderson utilisait différentes tailles de négatifs: cinq pouces par huit, six et 1/4 par huit et 1/4, huit par dix, onze par quatorze et stéréographique. Il a peut-être également travaillé dans d’autres formats, telles que le quatre par cinq et cinq par sept pouces. Il n’y a pas assez d’identification des dates de ses photographies pour indiquer quand il a commencé à utiliser les différentes formats, mais il est probable que le format 11 pouces sur 14 pouces n’a été utilisé que dans les années 1870. La première photographie de ce format dans les archives photographiques Notman date de 1875.
Reconnaissance artistique
Il rencontre son plus grand succès en 1877 et 1878 à New York lorsqu’il remporte les premiers prix de l’exposition organisée par E. et H. T. Anthony and Company pour des paysages utilisant le procédé carbone de Lambertype (Lambertype carbon process ). En 1878, il remporte le deuxième prix (une médaille d’argent) à l’exposition universelle de Paris.
La retraite
Henderson a pris sa retraite de la photographie professionnelle à la fin des années 1890. Aucune photographie n’a été identifiée comme étant sienne après cette période, ce qui indique qu’il a complètement quitté son travail. Bien qu’il y ait un grand volume de lettres provenant de cette période de retraite, il n’est fait mention de la photographie qu’une seule fois, alors lorsque son fils, ingénieur en Afrique le pria de se rendre chez Notman pour produire un portrait de meilleure qualité puisque celui qu’il lui avait envoyé était de piètre qualité. Après ça, rien. C’est comme si Henderson n’avait jamais été photographe. Il est certain que sa famille l’a oublié et qu’il n’est même pas fait mention de ses activités photographiques dans les notices nécrologiques écrites à sa mort en 1913. Son petit-fils, de nombreuses années plus tard, lui fait référence en tant que photographe amateur.
Perte de la collection
À la mort d’Alexander Henderson en 1913, son immense collection de négatifs sur verre a été entreposée dans le sous-sol de sa maison de Westmount. Après la mort de sa fille célibataire, environ 40 ans plus tard, son petit-fils Thomas Greenshields Henderson, le seul descendant survivant de la famille, a passé une journée complète à transporter les boîtes de négatifs (des plaques de verre) aux déchets pour les éboueurs.
Les seuls négatifs connus d’Alexander Henderson sont les huit négatifs sur plaque humide de cinq par huit pouces parfaitement conservés qui font partie de la collection Henderson dans les archives photographiques Notman. Ceux-ci ont été commandées par David Ross McCord, fondateur du musée McCord, et font partie de la maison et du terrain des McCord, “Temple Grove“, situés sur le chemin Côte des Neiges. Il aurait apparemment acheté à la fois les tirages et les négatifs, qui font désormais partie de sa vaste collection de Canadiana, dûment inscrits dans les livrets d’accession.
L’œuvre de Henderson est connue aujourd’hui grâce à plusieurs collections de gravures, la plus grande étant conservée aux Archives Nationales du Canada à Ottawa et aux archives photographiques Notman du Musée McCord d’histoire canadienne à Montréal.
L’exposition de 2012 sur McGill College
L’exposition Paysages habités, du photographe Alexander Henderson, a permis aux visiteurs d’admirer 25 photographies de format géant, représentant de magnifiques paysages canadiens du 19e siècle.
Présentée sur l’avenue McGill College, entre les rues De Maisonneuve et Président-Kennedy, cette exposition hors murs a illustré des vues étonnantes sur le Montréal d’hier. Les piétons pouvaient ainsi observer les charmes de l’hiver québécois au parc du Mont-Royal en 1877, voir la coupe de glace sur le fleuve St-Laurent à cette même époque, ou encore, survoler l’un des plus beaux jardins privés de la ville, celui du séminaire de Montréal. Plusieurs autres scènes captées en pleine nature y étaient également présentées.
Références
https://archivaria.ca/index.php/archivaria/article/viewFile/10565/11410
Archivaria, Number 5, 1977-78
Écrits de Stanley G. Triggs, Chercheur et archiviste
Il a rencontré le Juge Miller Hyde, un ami de longue date de Thomas Greenshields Henderson, le petit-fils décédé. Le Juge Hyde était l’exécuteur testamentaire et a accepté de donner au Archives du Musée McCord une collection de matériel ayant appartenu à la famille Henderson.
Il ne reste que 8 plaques de verre de la collection Henderson,
Modeste exposition de 1973 au Musée McCord, à une période ou l’œuvre d’Henderson n’étaient pas encore rassemblée.
En 1956, Stanley Triggs a entrepris des études en beaux-arts et en anthropologie à l’Université de Colombie-Britannique. Peu de temps après avoir terminé ses études, il a été embauché par les archives Notman de Montréal. Il a commencé à travailler à titre de curateur du musée McCord en décembre 1965 et a pris sa retraite 28 ans plus tard.
https://lactualite.com/culture/2012/08/07/photographie-lart-du-paysage-selon-alexander-henderson/
http://www.biographi.ca/en/bio/henderson_alexander_1831_1913_14E.html
http://www.musee-mccord.qc.ca/fr/expositions/alexander-henderson/
Wikepedia Commons, Alexander Henderson Collection de photos
Sélection de photos d’Henderson
Sélection d’images triées par date de création de photos produites par Henderson, pour fin de discussion et d’analyse
Lien: Images choisies pour projet du groupe
<<·· Clinc d’oeil en l’honneur d’Henderson ··>>
Voici notre activité photographique pour le printemps 2019: Choisir une ou plusieurs photos d’Henderson disponibles sur ce lien et recréer l’image en tenant compte de la perspective, de la focale utilisée, des angles, de l’heure du jour, le construit urbain et de la fréquentation moderne des lieux, en contraste aux photos d’Henderson.
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